

Le train traverse l’envers de l’interminable Delhi, hangars, cheminées d’usines, terrains vagues. De temps à autre une gare de banlieue où attend une foule tranquille. Des trains épuisés (halant 7 classes différentes de voitures, plus le wagon restaurant et les wagons de marchandises), çà et là des bobines d’acier cabossées, oubliées en tas. Peu à peu on gagne la campagne. Dans les champs, je reconnais du riz, du maïs et c’est tout. Exotisme total de l’Asie, comme à chaque fois. Pas un arbre, pas un oiseau (à part les universels pigeons) qui soient ceux de chez nous. Le long d

La campagne se réveille. Par centaines, hommes,

Dans le train, les hauts parleurs crachotent les rhapsodies gélatineuses d’un pianiste remplaçant. Les serveurs apportent le déjeuner : thé, toast, omelette aux patates et aux petits pois, biscuits, eau ferroviaire (« Rail Neer », dit la bouteille). Dans sa passion administrative, le publicitaire de la compagnie de restauration a imprimé sur le set de table le menu intégral, y compris le sel, le poivre et la ketchup. A croire que c’est un inventaire pour qu’on puisse bien vérifier que tout y est.
Les journaux titrent sur le honteux accord nucléaire conclu la veille à Vienne. Il ratifie la promesse faite par les Etats-Unis d’offrir à l’Inde l’accès à des technologies atomiques, bien que l’Inde n’adhère pas au traité de non-prolifération. La presse applaudit (« L’aube nucléaire », titre l’Hindustan Times), soutenant à la fois que c’est un droit évident du pays (« la fin de l’apartheid nucléaire ») et que ce fut en même temps un combat héroïque, l’Inde ayant dû vaincre tour à tour la Suisse, l’Autriche, la Hollande, quelques autres et bien sûr les fourbes Chinois. Il est intéressant de noter le pluralisme des journaux. Même sur un sujet aussi sensible, la position de l’opposition est largement rapportée (malheureusement c’est cette fois pour trouver que le gouvernement a fait trop de concessions…) L’autre nouvelle du jour est l’élection du nouveau président pakistanais. Dans la ligne des préjugés méprisants qui entourent ici tout ce qui touche au Pakistan, on insiste surtout sur sa réputation de corrompu et ses condamnations passées. Au passage, j’apprends qu’en hindi, Inde se dit Bharta. Voilà pourquoi tant de sigles commencent par B. J’apprends aussi qu’en Inde on ne compte pas en millions mais par unités de 100 000 (un lakh) ou de cent millions (un crore). « Des lakhs de personnes inondées dans la région de Bihar », « détournement de fonds de plusieurs crores », lit-on.
Peut-être influencé par Henri Michaux (Un barbare en Asie), je trouve en plus d'un endroit les traces d’une logique super-analytique. Impossible d’y échapper lorsqu’on réserve un billet de train par internet : le menu propose 65 tarifs réduits différents (y compris « équipe de polo », « artiste de cirque » ou « accompagnant de patient de thalassémie »). Dans le journal du dimanche, les petites annonces matrimoniales sont un autre cas. Elles sont classées par caste, par religion, par profession. Il y a même une rubrique « Autres ». Après Autres, ça continue! Il y a encore Handicapés, Étranger. Et puis ça s'arrête (39 catégories, quand même).
Et puis voici cet article sur les difficultés de l'industriel Tata pour implanter son usine de voiture bon marché (la « Nano » à 100 000 roupies, pardon un lakh, c’est-à-dire 1600 €). Les villageois, appuyés par des associations et des activistes, et sous l’œil bienveillant du gouvernement marxiste de l’Etat du Bengale Occidental, ne veulent pas être expropriés et résistent au programme de « réhabilitation » (comme on appelle joliment l'éviction des habitants). Récemment des émeutes ont eu lieu. Le chroniqueur d'Express India analyse sagement le problème. C'est simple: il n'y a que 7 possibilités, dont il décompose certaines en sous-hypothèses, apportant à chacune sa réponse logique. Ce qui est frappant, un peu comme l'écrit Henri Michaux, est qu'il donne l'impression d'avoir su à l'avance qu'il y avait 7 possibilités, pas 3 ni 8, comme si certains signes lui avaient permis de reconnaître à coup sûr un problème à 7 ramifications. Il lui suffit alors d'en esquisser l'analyse, tel un pédagogue qui ne nous laisserait, pour ainsi dire comme ultime étape du calcul, que la résolution pratique de la crise. (il faut croire que son article a été lu car aux dernières nouvelles le problème est réglé) (PS : en fait non, quelques semaines plus tard on apprend que Tata jette l’éponge et se replie sur l’Etat bien plus libéral du Gujarat).
Ma voisine trouve que j’ai une jolie écriture. Je lui demande de m’écrire quelque phrases en hindi. Elle s’appelle Jyoti et tient avec son frère une agence de voyages. Ils se spécialisent dans le tourisme haut de gamme : trekking dans l’Himalaya ou encore le « Palace on Wheels », sorte de train-croisière qui cabote de nuit entre les villes du Rajasthan. Elle est fière de ses deux filles qui étudient en Angleterre. J’écris quelques lignes pour son jeune fils qui, lui, apprend l’espagnol. « Il parle déjà bien anglais et connaît le sanscrit car, à la maison, nous lisons les livres sacrés ». Quelle merveille que la culture…
Peut-être influencé par Henri Michaux (Un barbare en Asie), je trouve en plus d'un endroit les traces d’une logique super-analytique. Impossible d’y échapper lorsqu’on réserve un billet de train par internet : le menu propose 65 tarifs réduits différents (y compris « équipe de polo », « artiste de cirque » ou « accompagnant de patient de thalassémie »). Dans le journal du dimanche, les petites annonces matrimoniales sont un autre cas. Elles sont classées par caste, par religion, par profession. Il y a même une rubrique « Autres ». Après Autres, ça continue! Il y a encore Handicapés, Étranger. Et puis ça s'arrête (39 catégories, quand même).
Et puis voici cet article sur les difficultés de l'industriel Tata pour implanter son usine de voiture bon marché (la « Nano » à 100 000 roupies, pardon un lakh, c’est-à-dire 1600 €). Les villageois, appuyés par des associations et des activistes, et sous l’œil bienveillant du gouvernement marxiste de l’Etat du Bengale Occidental, ne veulent pas être expropriés et résistent au programme de « réhabilitation » (comme on appelle joliment l'éviction des habitants). Récemment des émeutes ont eu lieu. Le chroniqueur d'Express India analyse sagement le problème. C'est simple: il n'y a que 7 possibilités, dont il décompose certaines en sous-hypothèses, apportant à chacune sa réponse logique. Ce qui est frappant, un peu comme l'écrit Henri Michaux, est qu'il donne l'impression d'avoir su à l'avance qu'il y avait 7 possibilités, pas 3 ni 8, comme si certains signes lui avaient permis de reconnaître à coup sûr un problème à 7 ramifications. Il lui suffit alors d'en esquisser l'analyse, tel un pédagogue qui ne nous laisserait, pour ainsi dire comme ultime étape du calcul, que la résolution pratique de la crise. (il faut croire que son article a été lu car aux dernières nouvelles le problème est réglé) (PS : en fait non, quelques semaines plus tard on apprend que Tata jette l’éponge et se replie sur l’Etat bien plus libéral du Gujarat).
Ma voisine trouve que j’ai une jolie écriture. Je lui demande de m’écrire quelque phrases en hindi. Elle s’appelle Jyoti et tient avec son frère une agence de voyages. Ils se spécialisent dans le tourisme haut de gamme : trekking dans l’Himalaya ou encore le « Palace on Wheels », sorte de train-croisière qui cabote de nuit entre les villes du Rajasthan. Elle est fière de ses deux filles qui étudient en Angleterre. J’écris quelques lignes pour son jeune fils qui, lui, apprend l’espagnol. « Il parle déjà bien anglais et connaît le sanscrit car, à la maison, nous lisons les livres sacrés ». Quelle merveille que la culture…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire